Loyalisme et discipline
Chez quelques-uns, paraît-il, les notions éveillées par ces mots restent assez vagues. Les mauvais plaisants prétendent que « loyalisme » est le pare-balles universel que l’autorité brandit pour se dispenser de répondre aux difficultés. Par ailleurs, le scoutisme est un mouvement volontaire, donc la discipline ne peut y être que librement consentie, et le règlement n’est qu’une manière de voir !
Non, le loyalisme est chose plus sérieuse, et moins strictement utilitaire. Tous ont à l’exercer vis-à-vis les uns des autres, chefs comme subordonnés. Le loyalisme du chef consiste à ne pas « lâcher » ses inférieurs, à ne pas les laisser se dépêtrer sans l’assistance qui leur doit, à ne pas rejeter sur eux les responsabilités. De la part de ceux-ci, c’est la fidélité au chef parce que chef ; l’autorité n’est pas mise en question, et l’on ne sape pas ses ordres en paraissant les exécuter. Si l’on en signale les défectuosités, ce n’est pas avec la malignité de l’élève qui a surpris une distraction chez le professeur, mais avec le respect affectueux de l’employé qui ne propose de critiques que pour que la maison marche mieux. Loyalisme suppose esprit scout et confiance à priori. Sans lui la collaboration fraternelle qui est à la base de l’administration du scoutisme est franchement impossible.
Et le loyalisme s’adresse aussi bien aux méthodes. Ce n’est pas être loyal au mouvement que de s’affranchir de ses directives pédagogiques, de faire pratiquer le scoutisme aux louveteaux, de prendre des routiers à 16 ans, de bouleverser arbitrairement les pouvoirs et les fonctions des chefs de différents degrés, d’annihiler pratiquement la Cour d’Honneur. On voit ici que loyalisme voisine avec discipline. En fait, les infractions à la discipline, quand elles sont habituelles et délibérées, d’où viennent-elles, sinon du manque de loyalisme ? On n’a pas encore compris que nous ne formons qu’un corps animé d’un seul et même esprit. Et c’est soi-même que l’on ruine en critiquant l’autorité.
Discipline librement consentie, dit-on ? Oui, si l’on veut dire que personne n’est scout ou chef malgré soi, et qu’en entrant dans l’association, c’est volontairement qu’on se soumet à la loi scoute et aux règlements. Mais non, résolument non, si l’on prétend par-là remettre l’autorité en question à chaque ordre qu’elle nous donne, à chaque règlementation nouvelle qu’elle édicte. Les règlementas valent jusqu’à ce qu’ils soient révoqués, aucun règlement de troupe ou de clan ne peut déroger aux règles particulières pas plus qu’aux règles communes. Mais cela ne me plaît pas ? C’est fort possible. On ne vous a pas enrôlé par surprise. J’ai remarqué que les gens qui prétendent que les règlements de leur association n’étaient pas viables, qu’il fallait remanier tout cela, etc…, étaient généralement des gens qui n’avaient pas réussi. Neuf fois sur dix l’enquête montrait que leur échec était dû précisément aux libertés qu’ils avaient prises avec la règle. Avec ces réformateurs d’un scoutisme qu’ils n’ont jamais pratiqué, j’entamerais volontiers ce petit dialogue :
- La maison est bien mal bâtie n’est-ce pas ?
- Oh, oui !
- La cheminée est mal placée, et les fenêtres mal orientées ?
- Tout à fait…
- La tapisserie ne vous plaît pas ?
- Une horreur !
- Et le propriétaire ?
- Insupportable.
- Mais, mon pauvre ami, qu’attendez-vous pour vous en aller ?
Père Sevin - Revue le Chef n°62 (Avril 1929)
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