La tentation au désert
Je venais d’être baptisé par Jean, et le Père m’avait glorifié devant les hommes. J’aurais pu choisir ce moment pour recruter mes premiers compagnons, et les candidats seraient venus en foule.
Mais si j’aime les cœurs ardents, je déteste les emballés, et si j’aime les grandes ambitions, tu sauras que je veux pour mes amis les débuts modestes et, à la base de tout, la prière et la pénitence.
C’est pourquoi je laissai échapper cette occasion, et je me retirai au désert pour jeûner et prier.
Moi qui nourris les oiseaux du Ciel, je me suis privé de nourriture quarante jours et quarante nuits ; moi qui fais mes délices d’être avec les enfants des hommes, j’ai vécu quarante jours avec les fauves. Moi qui, depuis trente ans et une éternité, attendais le jour où je commencerais à parler aux âmes et à les attirer à mon Père, j’ai retardé ce jour de quarante jours.
Car un scout doit être prompt mais non pas empressé.
Après quoi, j’eus faim.
Et je permis à Satan de me tenter.
Parce que tu devais être tenté toi aussi, mon scout, et que je ne voulais pas que tu dises en parlant de moi : « Il n’a pas passé par là ».
Je sais ce que c’est.
Tu seras plus tenté à treize ans qu’à huit, et plus à dix-sept qu’à treize. Tu ne dois pas en avoir peur, mais te préparer.
Prie, et quand Satan viendra, tu seras fort.
Me voyant affamé, il me dit : « Si tu es Fils de Dieu, commande à ces pierres de se changer en pain. »
Et je lui répondis que l’homme ne vit pas seulement de pain.
Pas seulement de pain.
Ce qui veut dire que le soin de ton ventre ne doit pas être ta première préoccupation.
Travaille pour gagner ta vie – et ton pain – mais travaille aussi pour gagner ta vie éternelle.
Et quand je dis « aussi », je dis d’abord.
Et pour nourrir ton âme à la vie éternelle, il y a les paroles qui sortent de la bouche de Dieu :
Tout ce que j’ai dit pour toi quand j’étais sur la terre, mon scout, et tout ce que mon père a révélé aux hommes avant que je vienne en ce monde, le Nouveau Testament et l’Ancien.
Le Nouveau principalement, parce que c’est en lui que tu trouveras mon cœur et mon histoire, et ma loi définitive. Tel est l’ordre voulu de mon Père.
Le démon te tentera encore, et il te dira ainsi qu’il m’a fait : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas du toit du Temple. Dieu a ordonné à ses Anges de te prendre en leurs mains, afin que ton pied ne heurte pas contre la pierre. »
C’est la présomption.
Les scouts sont quelquefois présomptueux. Ils confondent la témérité avec la bravoure, et ils croient que les imprudents sont courageux. Et ils sauteraient d’un premier étage pour prouver qu’ils n’ont pas peur.
Ce ne sont pas des braves, mais des sots.
On n’a jamais d’excuse à être imprudent, et on ne doit pas exposer sa santé ou sa vie pour montrer qu’on a du cran.
C’est moi qui te dis cela, et j’ai donné ma vie pour les autres. J’ai le droit de parler de courage.
Précisément parce que je voulais mourir utilement, j’ai refusé de risquer ma vie sans utilité.
« Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu », ai-je dit à Satan. Je le dis aussi à toi qui es mon fils et mon scout.
Et si je te fais un devoir d’aimer ton Ange Gardien et d’avoir confiance en lui, tu ne dois pas non plus lui donner trop d’ouvrage pour le plaisir de faire le malin.
Sois donc prudent. – Que dirait-on d’un sauveteur qui joue avec le danger ?
Etre prudent, c’est encore de l’humilité.
Et la prudence est une vertu cardinale.
Sois donc prudent, pour ton corps – mais surtout pour ton âme.
Tu peux risquer ta vie pour sauver celle de ton prochain, et peut-être qu’un jour je te demanderai ce sacrifice.
Mais tu n’as pas le droit de risquer ton âme et de l’exposer au péché. Cela, je ne te le demanderai jamais.
Sois prudent pour ton âme.
Ne va pas jusqu’au bord du toit, ni du péché, car tu auras le vertige – le vertige, c’est-à-dire l’envie de te jeter en bas.
Et c’est ce que désire Satan qui te déteste, mais qui ne peut pas te faire tomber malgré toi. Alors il te demande de faire sa besogne toi-même.
Tu le reconnaîtras toujours à cette parole : « Jette-toi en bas… il n’y a pas de danger. »
Il y a toujours du danger au contraire. Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu.
Et tu ne lui demanderas pas de faire ce miracle de te garder pur si tu fréquentes volontairement des compagnons pervertis ou des cinémas douteux.
Sois prudent pour ton âme.
Il te tentera aussi, plus tard peut-être, quand tu auras grandi en âge.
Il te montrera le monde, c’est-à-dire la beauté des villes, et les théâtres et les hôtels et les magasins somptueux où s’achètent tous les luxes et les plaisirs de la terre.
Tu verras des hommes riches et puissants, et tu voudras posséder la puissance et la richesse.
Il viendra et te dira : « Tout cela est à moi et je te le donnerai. Cesse de tenir ta promesse, car elle est gênante, et cesse d’observer ta loi scoute, car elle est absurde et bonne pour les petits enfants.
Tu ne feras pas fortune si tu es honnête ; tu n’arriveras à rien si tu es obéissant, et tu ne pourras jamais t’amuser si tu es chaste.
Laisse-là ta loi de misère, mets-toi à mon service, à mes genoux, je te donnerai tout si tu m’adores. »
Alors, mon fils, devant l’infernale tentation, tu te redresseras. Et comme je lui ai dit : « Arrière, car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui… » – tu renouvelleras simplement ta promesse : « Sur mon honneur je m’engage à servir Dieu d’abord. »
Et le tentateur se retirera, vaincu.
Père Sevin
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